Co-op Cycle est une fédération de coopératives de livraison à vélo qui compte 60 coopératives affiliées en Europe. Dans cette lettre ouverte, elles critiquent l’approche du gouvernement français à l’égard de l’Uberisation et plaident en faveur de droits de l’emploi solides pour les travailleurs des plateformes à travers l’Europe.
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Ce Jeudi 25 mai, Elisabeth Borne, Clément Beaune et Olivier Dussopt seront auditionnés dans le cadre de l’enquête parlementaire sur les Uber Files. Nous, membres de l’association CoopCycle, exprimons notre inquiétude quant à la position que le gouvernement français adoptera sur cette question, alors qu’une proposition de directive est actuellement en négociation au Conseil Européen, où la France est représentée par Olivier Dussopt. Nous appelons le gouvernement à ne pas légitimer le système de l’ubérisation ! Cela équivaudrait à soutenir des entreprises qui s’enrichissent en sapant les droits de tous les travailleurs.
Uber, un modèle délétère pour les livreurs
Depuis de nombreuses années, les problèmes résultant de l’ubérisation sont scrupuleusement documentés. Les conditions de travail et la rémunération sont exécrables et en dégradation constante. Les travailleurs allongent leur temps de travail pour maintenir leurs revenus, ce qui affecte leur sécurité et leur santé. Les livreurs précaires sont de plus en plus nombreux, y compris des travailleurs sans-papiers et parfois même des mineurs ! Sur les 700 livreurs que l’association CoopCycle a accompagnés dans les Maisons des Coursiers, 75% travaillent plus de 6 jours par semaine, 56% livrent entre 9 et 12 heures par jour. Enfin, 84% déclarent vouloir poursuivre ce métier de manière salariée, car le statut leur apparaît plus protecteur.
Pour donner une illusion d’action face à un modèle décrié, l’ARPE (Autorité des Relations sociales des Plateformes d’Emploi) a été mise en place. Mais avec moins de 2% des livreurs participant aux élections, la légitimité de ces négociations est nulle. Son but est uniquement de préserver le modèle des plateformes. L’accord signé le mois dernier par M. Dussopt ne rémunère que le temps de livraison à hauteur de 11,75€ de l’heure, oubliant le temps d’attente inhérent au modèle de la livraison. C’est comme si les parlementaires n’étaient payés qu’en séance, ou les caissières uniquement quand le client est à la caisse. Peut-on imaginer plus absurde comme organisation de la rémunération ?
D’autre part, le modèle d’Uber n’est pas rentable. Ayant accumulé 33,3 milliards de pertes depuis 2014, l’entreprise vit encore aujourd’hui sur des levées de fonds. La stratégie de ce type de plateforme est de dominer le marché en vendant à perte. Une fois en situation de monopole, la plateforme survivante de cette guerre des prix augmentera ses tarifs pour les consommateurs ainsi que les prélèvements sur les restaurateurs et réduira la rémunération des livreurs. C’est le schéma « Winner takes all » où seule la plateforme est gagnante au détriment des autres acteurs.
Un modèle toxique pour les livreurs et pour la société
Au cours de la dernière décennie, l’ubérisation a remis en question la façon dont les rapports de production sont établis dans notre société. L’entreprise Uber s’est imposée comme un acteur clé de cette redéfinition. Cette nouvelle approche, similaire à celle qui prévalait au XIXe siècle avant l’avènement du salariat, place le capital et le travail à la tâche au centre des processus de production, reléguant le travailleur au second plan. Les décisions importantes comme les rémunérations et la fréquence des missions sont prises par des algorithmes tandis que l’intelligence et la contribution spécifique des personnes sont ignorées, entraînant ainsi une annihilation de l’humanité au travail.
Cependant, les plateformes uberisées n’ont pas réussi à s’imposer seules, elles ont été soutenues par des choix politiques. Les révélations des “Uber Files” et les auditions parlementaires ont exposé l’inaction de l’État face à des pratiques agressives et illégales, mettant en péril la solidité de notre modèle social. Cela est d’autant plus préoccupant que de nombreux secteurs de l’économie sont désormais victimes de l’uberisation car ce modèle s’étend désormais à des domaines tels que le transport de personnes, la tenue de caisse des magasins, ainsi que des tâches autrefois considérées comme plus qualifiées, telles que le marketing ou la comptabilité.
Alors que le gouvernement prétendait récemment défendre la viabilité budgétaire du système de retraite par répartition, il devrait être crucial pour lui d’en préserver les revenus, à savoir les cotisations basées sur la rémunération du travail par le salaire ! Mais les acteurs profitant de la généralisation de l’auto entreprenariat ont habilement joué de la lenteur inhérente à une prise de décision démocratique. Cela constitue un danger pour la pérennité de notre modèle social qui repose sur les cotisations sociales, tant salariales que patronales. En effet, le statut d’auto entrepreneur supprime la part patronale des cotisations sociales et le taux de cotisation est inférieur à celui d’un salarié. De plus, la concurrence accrue entre les travailleurs réduit mécaniquement les cotisations sociales par la réduction des rémunérations.
L’uberisation est donc une agression du capitalisme financier contre la démocratie : personne n’a voté ni souhaité sacrifier les plus vulnérables et notre modèle social sur l’autel du profit. Cela met en péril un système protecteur que les livreurs plébiscitent, et que CoopCycle porte à travers son modèle alternatif de plateforme détenu par les travailleurs. Un modèle social qui est attaqué et que le gouvernement doit défendre !
La France doit soutenir la présomption de salariat
Une lueur d’espoir réside dans la directive proposée par la Commission Européenne, votée au Parlement Européen le 2 février 2023. Celle-ci propose une présomption de salariat si la plateforme remplit au moins deux des critères suivants : elle détermine le niveau de rémunération ou en fixe les plafonds ; elle supervise l’exécution du travail par voie électronique; elle limite la liberté de choisir les horaires, les congés, le refus d’une tâche ou la sous-traitance ; elle fixe des règles impératives spécifiques en matière d’apparence, de conduite à l’égard du client final ; elle limite la possibilité de travailler pour d’autres clients.
Si les eurodéputés français du groupe Renew ont voté en faveur de la directive au Parlement, M. Dussopt défend lui une présomption d’indépendance qui va à l’encontre de cette directive. Il est pour nous difficile de comprendre les signaux contradictoires émanant de la majorité présidentielle sur cette question. Nos inquiétudes persistent quant à la position du Gouvernement Français quant à l’uberisation.
Nous demandons au gouvernement français de clarifier sa position et de soutenir la directive européenne dans les termes proposés par la Commission.
Ce texte est signé par les militants de l’association CoopCycle, animatrice des Maisons des coursiers et fondatrice de la fédération de coopératives de livraison à vélo CoopCycle.
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