Ben Ali Brahim est secrétaire-général du syndicat INV (Intersyndicale Nationale VTC) en France, qui organise les travailleurs VTC (“voiture avec chauffeur”) pour les entreprises comme Uber ou d’autres applications.
Cette interview a été réalisée par Ben Wray, chef de le Gig Economy Project
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Le syndicat d’Ali Brahim s’est fait connaître par des mobilisations d’action directe bloquant les centres logistiques d’Uber dans toute la France, et organisant les chauffeurs pour qu’ils désactivent en masse l’application.
Ils ont beaucoup de raisons d’être mécontents. Le Gig Economy Project a publié le mois dernier une nouvelle étude academique sur l’impact du confinement sur les travailleurs de la gig economie en France, qui a révélé que les CTV ont vu une baisse de près de 50% de leurs revenus pendant le confinement en concernant l’accès à l’Internet, pendant que beaucoup d’entre eux avaient cessé de travailler en raison de craintes pour leur santé.
L’Uber est un sujet de controverse en France, un pays fier de ses droits de travail et de ses syndicats militants. Le président Emanuel Macron, qui a rencontré la PDG d’Uber, Dara Khosrowshahi, a déjà fait l’éloge de la société pour avoir apporté du travail à “la banlieue”.
Cependant, en mars, la plateforme digitale a perdu un important appel devant la cour de cassation française, qui a estimé qu’un ancien chauffeur d’Uber aurait dû être considéré comme un employé. En général, Uber a prétendu que le jugement ne concernait qu’un seul chauffeur, mais en fait, il fait un précédant juridique pour la loi française.
Le Gig Economy Project a parlé à Ali Brahim de la situation actuelle des conducteurs de VTC en France, du travail de son syndicat et de son optimisme pour l’avenir des travailleurs du gig.
Q : Quelle est la situation actuelle des conducteurs de VTC en France dans le contexte de la pandémie, en termes de santé & sécurité et de leurs revenus?
Q1: Les chauffeurs VTC vivent une situation catastrophique. Les chauffeurs avaient subit 3 vagues : l’uberisation, les gilets jaunes et COVID-19.
Beaucoup de chauffeurs ont dû abandonner leur travail et reprendre une autre activité. Nous avons perdu des collègues qui sont morts du COVID-19 et malheureusement il n’y a aucune protection sociale pour eux et leurs proches.
La santé psychologique et physique de certains entre eux se détériore de jour en jour à cause du stress engendré par le COVID-19 et les dettes financières qui les accablent.
La sécurité des chauffeurs n’est pas une priorité pour les plateformes et le gouvernement.
Notre structure syndical a réussi en juillet à prolonger jusqu’à décembre l’aide de l’état qui est 1,500 euros par mois et pas pour tous .
Cette aide devait ce terminer en juillet mais grâce à nos manifestations , nous avons pu sauver quelques uns, mais pas tous, car cette aide est insuffisante et elle n’est pas pour tous à cause des conditions d’éligibilités.
Nous avons réalisé une enquête auprès de nos membres pour le compte du ministère des finances avec lequel je suis en contact. Elle a montré que 96% des conducteurs souffrent des difficultés financières à l’heure actuelle, 92% d’entre eux ayant des difficultés à payer les cotisations.
Q) En mars, avant le confinement, votre syndicat (INV) a organisé une mobilisation nationale pour déconnecter Uber et d’autres applications de télépéage, et l’année dernière, vous avez organisé des blocages de centres logistiques dans tout le pays. Pensez-vous que l’action directe est un moyen de pression importante pour les travailleurs sur des entreprises comme Uber, ainsi que sur le gouvernement?
BAB: L’action que j’ai mené contre uber – que nous appelons ‘Black-OUT’ – était pour moi la meilleure, car c’était la première fois que uber m’a harcelé en me téléphonant le week-end en me demandant aussi de venir parler avec eux en réunion. J’ai refusé car je n’ai pas besoin d’une réunion pour répondre à nos revendications.
Cette action nous a permis de changer les choses, et d’avoir le pouvoir en main. D’ailleurs grâce à cela nous avons pu reconnecter des comptes suspendus mais aussi améliorer les conditions des chauffeurs un tout petit peu.
Depuis ce jour, Uber angoisse d’un nouveau blocage de leurs bureau au point qu’ils surveillent mon Facebook et dès que je leur dit qu’on va bloquer ils ferment leurs bureaux par prévention!
Nos actions ont reussi à sensibiliser le gouvernement ainsi qu’à ralier plusieurs chauffeurs à notre cause. À ce jour nous avons lancé une procédure de re–qualification du salarié et nous avons lancé la première action ‘RGPD’ – l‘utilisation des données personnelles – contre Uber.
Q) Une importante affaire juridique a été jugée en France en mars dernier, qui a reconnu le droit d’un chauffeur de l’Uber à être considéré comme un employé. Quelle est la situation juridique des chauffeurs Uber en France à l’heure actuelle, et quelles sont les modifications de la réglementation et des conditions générales que votre syndicat souhaite apporter?
BAB: Après un long combat juridique et à cause du lobbying d’Uber dans notre système judiciaire, ce combat était long mais a fini par reussir.
Nous lançons une nouvelle action pour expulser Uber de France, car ils essaient – avec l’aide du gouvernement – de détruire l’action en justice.
Notre syndicat souhaite l’éradication de ce système obsolète et esclavagiste.
Nous sommes en train de créer notre propre coopérative d’employés indépendants.
Q) Quelle est la relation entre votre syndicat VTC et les syndicats des taxis? Est-il possible pour tous les chauffeurs de taxi – VTC et sociétés de taxis traditionnelles – de s’unir ?
BAB: Notre relation avec certains chauffeurs de taxi est très respectueuse et d’entraide.
Certains taxis m’ont aidé dans certains dossiers.
Mais d’autres taxis sont des emmerdeurs de première classe comme chez les VTC!
L’union est possible avec certains mais dans l’ombre car ils ont peur des représailles de leurs collègues opposants.
Q) Combien de chauffeurs de VTC sont membres d’un syndicat en France ? Votre syndicat est-il en train de s’agrandir ?
BAB: Notre syndicat nationale compte 1,413 adhérents et 2,456 sympathisants non adhérents.
Les non adhérents sont en train d’adhérer de plus en plus.
Notre structure devient plus puissante chaque jour. Nous sommes à ce jour la seule organisation représentative de notre pays pour notre secteur.
Q) D’importantes batailles internationales se déroulent autour de l’Uber et de l’avenir de l’économie du gig, comme en Californie avec la loi AB50. Êtes-vous optimiste quant à la future des travailleurs dans l’économie du gig?
BAB: Aujourd’hui nous restons optimiste. Nous observons les combats dans le monde et nous sommes en connexion avec certains.
D’ailleurs la France va relancer l’opération Black-OUT au niveau international pour qu’Uber comprenne que notre souffrance est internationale.
Vous savez, malgré avoir été déconnecté de Uber pour avoir défendu mes collègues, je peux vous dire que je ne regrette rien car j’ai trouvé une famille auprès des chauffeurs. Donc oui je reste optimiste.
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